En venant habiter Bauzy, j’appris à sympathiser avec les
animaux de la forêt. Au rythme des saisons, je les imaginais à tel ou tel endroit
selon l’heure de la journée. Combien de fois n’ai-je pas slalomé sur les routes de Bauzy-Neuvy, Bauzy-Bracieux,
selon qu'il s'agissait du passage intempestif d'un chevreuil impétueux, une
escouade de sangliers, une biche prudente ou un cerf majestueux dont la robe
devenait lumineuse dans les phares de ma voiture...
Ici comme ailleurs en Sologne, l'espace occupé par ces
animaux est tellement vaste et leur reproduction assurée, que l'attention des
habitants du village n'est pas forcément attirée par la disparition de l'un ou
de l'autre : ce qui laisse croire que les animaux se cachent pour mourir.
Cependant, la fin étrange d’un beau cerf apprivoisé par la
famille de Melle Simone Bégé du domaine de la Lande, me fut contée par cette
grande dame d’une culture certaine. Elle m’apprit d’abord qu’elle descendait de
la famille de Thomas Moore, écrivain irlandais. Impressionnée par le buste d’une
aïeule taillé dans le marbre, j’écoutais Simone avec passion, tout en
appréciant le thé qu’elle m’offrait dans un précieux service de porcelaine de
Chine. Elle avait le sens de l’accueil et était flattée de me voir emprunter le
chemin de sable qui passait devant son manoir. En fait, j’étais la seule
personne après le facteur à pouvoir lui donner des nouvelles du bourg éloigné
d’un kilomètre cinq. Mais elle ne se plaignait pas, me disant qu’elle avait
déjà une belle demeure entourée d’une forêt d’essences multiples (il y avait
même des arbres exotiques, sans oublier les champignons). Pour meubler sa
solitude, elle observait son territoire avec des jumelles. Elle percevait le
moindre mouvement diurne ou nocturne de ses animaux. Depuis la mort de ses
parents, elle vivait seule avec son chien Olaf, ce berger allemand qui
m’impressionnait à tort, étant données ses mensurations !
Le décor est maintenant campé. Du vivant de ses parents, un
cerf magnifique avait pris l’habitude de venir au manoir à heures régulières,
prendre un petit supplément alimentaire, côté cuisine de cette belle demeure.
Il se laissait approcher par toute la famille, prenait délicatement tout ce
qu’on pouvait lui donner et s’en retournait dans la forêt, tranquillement comme
il était venu, jusqu’au jour ou le père et la mère de Simone moururent à
quelques jours d’intervalles. Le cerf apparut une dernière fois devant la
cuisine, leva la tête et huma l’air, comme si des larmes coulaient de ses yeux
et il reprit le chemin de la forêt en reculant…Simone ne le revit plus jamais
et elle pensa qu’il était mort de chagrin et Je suis prête à croire qu’elle
avait raison…
Bien plus tard son chien Olaf, auquel il ne fallait surtout
pas demander de donner sa patte (sinon il aurait mordu même sa maîtresse),
contourna à son tour le manoir pour aller mourir dans la nature, sur ce chemin
que je lui voyais prendre tous les jours pour la promenade.
Triste mais belle histoire qui prouve que les animaux ne
veulent pas imposer les affres de leur mort aux humains auxquels ils étaient si
attachés (constat fait personnellement pour la chienne de ma voisine qui me
faisait fête chaque fois que je revenais au pays, laquelle contourna aussi ma
maison avant de disparaître pour toujours.
Epilogue : Simone atteinte plus tard d’une maladie
incurable quitta la Lande sur la pointe des pieds et ne donna plus aucune
nouvelle. Je me devais de lui rendre hommage pour que ceux qui l’ont connue ne l’oublient jamais.
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